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L’esprit des pierres
Jeudi 3 juin 2010, par Jean-Louis POITEVIN pour Lacritique.org
La galerie Downtown présente un large choix d’œuvre du designer coréen Choï Byung Hoon et nous permet de découvrir une œuvre contemporaine sachant prendre en charge d’une manière renouvelée certains aspects essentiels de la tradition.
Choï Byung Hoon est d’abord un créateur de formes. Il est donc d’abord un artiste. Il se trouve qu’il donne à ces formes l’aspect concret d’une table, d’un banc, d’une console. C’est pourquoi il est aussi un designer. Les œuvres qu’il présente aujourd’hui à la galerie downtown révèlent de manière admirable la puissance et la singularité de son travail, mais elles révèlent aussi quelque chose de plus secret et de plus inaccessible pour nous occidentaux, l’essence de l’âme coréenne. Avant d’être des œuvres d’art et des meubles, les objets présentés par Choï Byung Hoon sont des manifestations du substrat spirituel coréen, un mélange rare et puissant de taoïsme, de zen, et d’attention et de respect pour ce qui dans la nature vient répondre aux attentes les plus hautes de l’esprit.
Imaginer que quelque chose comme « la » nature existerait, on le sait, est une erreur. Par contre, reconnaître que « la » nature est le résultat de la projection de notre désir de perfection sur ce qui nous entoure, voilà qui nous rapproche d’une forme vivante de vérité. Le premier pas à accomplir, c’est sans doute de considérer non seulement l’arbre ou la feuille mais le fleuve ou la pierre comme des éléments vivants, comme des pôles de manifestations de l’esprit, comme des doubles de nos aspirations profondes.
Cependant, la puissance propre d’un esprit créateur comme celui de Choï Byung Hoon tient en ceci qu’il sait que l’accomplissement de l’œuvre, l’accès à la perfection et à la pureté, passe par la transformation des matériaux. L’enjeu de la création est de faire naître de la pierre, du bois, de l’eau, la puissance spirituelle que chacun recèle. Il faut pour cela avoir reconnu en soi-même l’existence de cette force de l’esprit, la reconnaître aussi dans la matière et savoir la faire émerger de la matière sous une forme qui parle directement à l’esprit de chacun.
S’approcher d’un objet créé par Choï Byung Hoon, c’est sentir passer sur soi le souffle de la matière devenue force spirituelle. Or il ne suffit pas de savoir que l’esprit est en quelque sorte aussi présent dans les choses pour savoir le faire partager. Choï Byung Hoon a une sensibilité toute particulière pour la pierre, le marbre, le bois, mais c’est par-dessus tout par la rencontre et la confrontation amicale des opposés, et plus encore par leur association à la fois contrainte et inventive qu’il révèle la dimension spirituelle de chacun. Ainsi lorsqu’une longue langue de bois vient se reposer dans sa course vers l’infini sur deux galets de pierre posés perpendiculairement l’un par rapport à l’autre, c’est toute la subtilité de la différence et de la complémentarité entre la construction, exprimée ici par son paradigme le plus simple, l’association de deux éléments naturels incluant une pensée géométrique, et la croissance, exprimée par la matière la plus proche de l’homme, le bois mais un bois travaillé et poli, qu’il réussit à nous faire partager.
Lorsqu’il pose une forme oblongue en marbre poli sur trois galets qui ne semblent tenir debout que pour affronter les forces contraires de la vie, ce sont les gestes les plus anciens, les gestes premiers de l’homme dans sa passion constructrice qu’il ressuscite devant nous. C’est pourquoi face à de tels « objets » nous sommes à la fois projetés dans l’extrême contemporain et dans l’extrême archaïque. Cette courbure du temps à travers des matériaux purifiés et spiritualisés, c’est ce que Choï Byung Hoon nous fait non seulement voir mais vivre.
L’objet ainsi créé atteint en nous par son aspect fonctionnel une zone psychique plus large que celle que touche la seule œuvre d’art. En effet, nous savons que nous pouvons utiliser cette table, cette console ou nous asseoir sur ce banc de marbre et de pierre. Mais le faisons nous, c’est inévitablement avec la conscience exacerbée de cette courbure, avec la conscience exacte de l’immensité qui nous sépare et nous relie à un passé immémorial et à un avenir qui nous tend les bras. S’asseoir sur un banc réalisé par Choï Byung Hoon, c’est appréhender un avenir dans lequel la pureté et la simplicité des formes constituent plus qu’un message, une source de lumière qui nous permet de nous avancer dans la nuit sans avoir peur de nous perdre. C’est aussi comprendre que nous sommes les vecteurs sans lesquels cette mémoire et cette lumière ne pourraient exister. L’âme de la Corée tient dans cette puissance particulière à relier ces mondes qui précèdent la mémoire et ces ombres qui hantent l’avenir, au moyen d’éléments qui allient en eux-mêmes de manière intime l’esprit de la nature et la sensibilité plastique de la culture, et à associer dans un même ensemble les exigences de la sérénité aux élans vivaces de la vie. L’œuvre de Choï Byung Hoon en est l’une des plus pures incarnations.
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