History of the lamp
Architectes et designers se sont passionnés pour elle.
Et pour cause, la lumière crée le décor, elle l’éclaire, lui permet de s’exprimer. Quelle merveilleuse aventure que celle de la flamme, devenue lumière ! L’aventure de cette flamme du passé, dorée, protectrice, qui un jour, d’un mouvement du doigt jouant avec l’interrupteur délivre la clarté désirée à la place de travail, au lieu de repos…
De la lampe à huile de l’Antiquité, aux bougies et chandelles du Moyen-Âge, jusqu’aux premières ampoules à incandescence de Swan et Edison, les innovations techniques ont permis à la lampe d’évoluer au fil des siècles… Des merveilleux abat-jours en verre à petit plomb Tiffany jusqu’aux provocants modèles des années 1960 et 1970, la lampe est le témoignage d’une société mouvante, en perpétuelle recherche artistique et technologique. Les luminaires sont des témoins privilégiés de l’évolution de notre monde. La très grande diversité de lampes, en termes de forme et de matériaux, s’explique aussi par la multiplicité des usages auxquels on les employait. Les romains célébraient les réjouissances publiques par des illuminations. On suspendait des lampes aux fenêtres le jour où naissait un Prince. Ainsi, au fil des siècles, la lampe n’a eu de cesse de se transformer, et de modifier ses services.
Dès le début de l’Humanité, le feu sera la seule source de lumière, le premier moyen de lutter contre l’obscurité. Le feu intervient comme un progrès psychique avant d’être technique !
Autant de formes que de lampes !
Depuis toujours, l’évolution du dessin suit les besoins de l’Homme : se chauffer, se protéger, s’éclairer, et enfin décorer son habitat !
Le Souffleur à la lampe, Georges de la Tour, 1640… La lumière inspire les peintres de l’école caravagesque ! Elle est un élément essentiel des compositions.
Aménagement intérieur de l’hôtel d’Orrouer appartenant à Hubert de Givenchy. Les lampes servent le décor global, le complètent et le mettent en avant.
Innovation et esthétique ! Ci-dessus, la lampe Lépine et Bourdon à triple courant d’air et vase en verre.
Tout au long du XXème siècle, la lampe continue de s’émanciper de sa fonction première, elle devient sculpture, elle devient objet d’art à part entière, elle surprend le regard et suscite souvent la curiosité par ses formes et par ses matériaux. Au tout début du siècle, son esthétique suit l’esprit si libre de la Belle Époque, et les formes s’inscrivent dans le style floral, particulièrement chargé de l’Art Nouveau. La lampe se pare de courbes, de couleurs, d’arabesques.
Cette lampe de table Lotus, en pâte de verre, ca 1900-1906, des studios Tiffany, était l’une des pièces les plus prestigieuses de l’époque. Le choix du Lotus révèle non seulement l’influence orientale et islamique qui régnait sur l’Art Nouveau, mais aussi de la fascination de l’époque pour les formes empruntées à la nature. A l’image de la lampe Champignon d’Emile Gallé à droite…
Demeure de Louis Comfort Tiffany, Oster Bay, Long Island
Dans le vaste mouvement européen de l’Art Nouveau, l’éphémère mouvement Jugendstil recherchera la rupture avec le passé ! Peter Berens tourne alors le dos à l’esthétique de la fin des années 90 et rejoint un contre-mouvement.
La décennie suivante et le style Art Déco imposera de la rigueur et un dépouillement ornemental quasi-total. Les lignes droites sont de mise, et la courbe, proscrite. La fin des années 20 dictent au mobilier une structure stricte, à l’image des luminaires.
Ce modèle de lampe à poser d’Edouard-Wilfrid Buquet, ca 1927, en métal chromé, témoigne de ces innovations technologiques mises au service du Design. Il dépose un brevet de lampe à balancier en 1927, cette lampe révolutionnaire restant stable grâce à un savant système de contrepoids réglables, avec un socle en bas également lesté. Ce système sera également utilisé par Marcel Breuer, Jacques-Emile Ruhlman…
Créée en 1924, le lampe Religieuse de Pierre Chareau est l’un des chefs d’œuvre du XXème ! Véritable sculpture, l’artiste a l’audace de faire cohabiter un fut en bois massif, tout en rondeur et en sensualité, avec des albâtres très incisif dans leur forme, et que seul leur translucidité fragilise ! Tout en évoquant la fameuse cornette des religieuses…
Le parallèle est inévitable ! Carlo Mollino dessine en 1947 ce modèle de lampe en laiton, marbre et parchemin, qu’il appelle « Standard ».
La célèbre et intemporelle lampe WG25, crée en 1924, de Wilhem Wagenfeld, designer industriel allemand et élève du Bauhaus.
Jacques-Emile Ruhlmann, grand décorateur français des années 20, s’appliqua à créer des luminaires aux lignes épurées, il est « épris de formes sveltes, finement rythmées, il goûtait amoureusement, presque sensuellement ces précieuses matières qu’il harmonisait à l’extérieur, comme à l’intérieur de ses meubles. »
Cette lampe issue des collections du Metropolitan Museum de New York est dessinée par Rulhmann en 1926.
Il participe à l’aménagement du Paquebot Ile-de-France, avec l’aide notamment de Jules-Emile Leleu, André Mare et Louis Süe, ou encore le peintre Mathurin Méheut. Ici, le grand salon de Première Classe.
Jean Prouvé affirmait « qu’il n’y a pas de différences entre la construction d’un meuble ou d’une maison ». Ce lustre octogonal de l’architecte français, ca. 1927, en fer forgé martelé et verre dépoli, puise aussi son inspiration dans des formes très rigoureuses, architecturales. On est à la frontière entre l’Art nouveau et l’art déco, on pressent la modernité !
Dans cette même veine, Robert Mallet Stevens, architecte et designer français, réalise son chef d’œuvre et véritable manifeste archictectural : la Villa Cavroix, à Croix. La lampe à poser du Hall-salon, ca. 1929, est un luminaire avant tout fonctionnel. Presque minimale.
La lumière n’est plus qu’une simple ampoule, elle devient le terrain de jeu des artistes de l’Union des Artistes Modernes, notamment dans ce hall d’entrée de leur première exposition en 1930.
Jean Royère, décorateur autodidacte iconique du XXe siècle, pense des meubles au dessin fantaisiste, décomplexé, s’affranchissant des codes. Il se consacre avant tout à la notion de décor, et imagine de véritables ensembles à l’esthétisme unique. Cette Lampe Liane, ca. 1950, met l’ornement au service de la fonctionnalité. Jean Royère déforme le tube de métal qui devient ainsi une ligne ondulée, à l’image d’une plante grimpante. Il dépasse la fonction première d’éclairer.
Et nos grands créateurs des années 50, eux, joue la simplicité avec la création de potences lumineuses !
La lampe redevient lampe, dans son plus simple appareil, avec Jean Prouvé, suivant l’état d’esprit et la mouvance esthétique de l’époque chez les architectes français de l’après-guerre : elle se dépouille. Cette potence, ca. 1947, en métal tubulaire laqué noir, allie élégance et minimalisme des moyens.
Maison à Meudon, ca. 1952
Charlotte Perriand dessine elle aussi des potences pivotantes. Ce rare modèle de 1938 provient de son propre appartement rue Las Cases à Paris.
Ses luminaires se veulent fonctionnels, à l’image de l’ensemble de son mobilier. Elle imagine l’applique « CP1 », ca. 1965, lampe à volet pivotant, un système ingénieux permettant de déplacer l’orientation de la lumière. Son vaste chantier des Arcs en Savoie, est pour elle l’occasion d’appliquer ses idées en matière de fabrication en série.
Ci-dessus, la lampe s’inscrit dans un projet d’urbanisme précis. Cette borne lumineuse en béton est conçue par Le Corbusier en 1954. Le modèle est d’abord réalisé pour le parc de la Cité Radieuse de Marseille, et sera ensuite aussi utilisé dans les espaces publics de la ville de Chandigarh et la villa de Sarabhai à Amhedabad en Inde.
Dans les années 50, la lampe devient sculpture !
Isamu Noguchi, pour sauver son village en difficulté après la guerre, dessine une série de luminaires inspirés de la tradition japonaise. Le style est moderne, il appellera cela « light sculpture ». Les lampes sont en papier mino, issu de l’arbre murier, et les formes rappellent les paniers de pêcheurs traditionnels.
Exposition à la galerie Steph Simon, boulevard Saint Germain, Paris
Serge Mouille, diplômé d’orfèvrerie et de dinanderie, décide également de consacrer l’ensemble de sa création aux luminaires, après avoir suivi une formation auprès de Jacques Adnet. Tout au long des années 50, Mouille conçoit des lampes aux structures porteuses angulaires mais aux réflecteurs courbes évoquant la forme douce et sensuelle du sein féminin, mêlant ainsi inventivité et délicatesse. Il met au point un système unique de rotule en laiton pour permettre aux réflecteurs de pivoter selon l’éclairage voulu.
Il crée dans les années 60 cette série de totems et signaux évoquant les buildings New Yorkais.
Le travail de l’artiste Dan Flavin est à souligner ici. « La lumière est un objet industriel, et familier » écrit Donald Judd en 1964 lorsqu’il se penche sur le travail de Flavin, « c’est un moyen nouveau pour l’art; désormais l’art pouvait être constitué de toute sorte d’objets, de matériaux, de techniques inédits ».
Mouille affirme que « ses luminaires sont une réaction à des modèles italiens » contemporains, qui selon lui étaient « trop compliqués »…
Alors parlons-en !
A cette même époque, le design italien de l’après-guerre est marqué par un changement significatif avec celui de l’entre-deux-guerres. Toute une génération de créateurs va percevoir le mobilier d’une manière totalement différente, souvent ludique, où il s’agira de réinventer les formes et la fonction. Les couleurs, les formes, l’aspect premier de l’objet, sont redessinés et parfois, tournés en dérision !
L’entreprise Fontana Arte, fondée par les architectes Gio Ponti et Luigi Fontana, bénéficie de la prospérité économique des années 50. Les artisans hautement qualifiés à son service n’ont de cesse d’aller à la recherche de nouvelles techniques et de nouveaux modèles, comme cette suspension en verre, ca. 1955, ci-dessous.
Gino Sarfatti, connu pour son incroyable passion pour les luminaires, crée des modèles pleins de fantaisie, qui reflètent le climat de légèreté et d’exubérance qui régnait dans l’Italie d’après-guerre.
La recherche permanente d’innovation en termes de forme et de matériaux amène Gino Sarfatti au dessin de cette suspension « Moon » ca. 1969, l’un des créations singulières qui feront sa réputation !
Ci-dessus, un autre modèle de lampadaire illustrant la production extrêmement diversifiée du designer, alliant rigueur et minimalisme, le modèle « 1063 », ca. 1954. Il utilise le néon comme élément structurel et décoratif.
Au milieu des années 60, un groupe contestataire d’architectes et designers italiens – dont fait partie Ettore Sottsass – suit le mouvement de l’Antidesign, en réaction à la société de consommation. Il sera autant designer industriel, confronté à l’ergonomie et à la productivité qu’un créateur libre d’inventer tous les meubles et objets issus de son imagination ! La lampe Astéroïde, dessinée en 1968 illustre la richesse créative du designer.
Le miroir « Ultrafragola » aujourd’hui véritable icône, mêle les deux fonctions, se voir certes, mais de manière « éclairé ». Il est conçu au début des années 70 et sera produit par la maison Poltronova. Sa sinueuse silhouette évoque une chevelure de femme ondulée…
« En ce qui concerne les lumières qui sortent des « meubles gris », les tombes n’ont-elles pas toujours des lumières scintillantes qui éclairent la tristesse des espaces errants dans la vallée poussiéreuse ? Et les sous-marins n’ont pas de lumières vertes qui clignotent dans leur ventre ? Les lumières sont censées sortir du corps en fibre de verre, comme le blanc brillant de la peau des seins blancs, ou la pointe rouge éclatante du pénis dans les nuits porno, quelque chose comme ça, je veux dire quelque chose comme les lucioles japonaise qui transforment les nuits de mai en matière solide. Peut-il y avoir quelque chose de plus ridicule ? »
(Ettore Sottsass, » Quelque chose pourrait-il être plus ridicule ? », Dans « Design », Londres, 262, octobre 1970)
Exposition « Ettore Sottsass », 2017, Galerie Downtown, Paris
Archives Superstudio : la lumière dans le décor est réduite à une simple ampoule, en opposition avec l’excentricité du reste de l’aménagement.
Gaetano Pesce et sa lampe « Airport », dessinée en 1986, en uréthane souple et métal. Il affirmait « J’aime les objets utiles, comme le mobilier ou les luminaires, que je transforme en éléments militants ». En designer visionnaire, il s’est toujours servi des matériaux de son temps, comme un moyen de mieux connaitre son époque.
Et ci-dessus, la lampe Moloch, ca. 1970. Œuvre maitresse de l’artiste, cette lampe est probablement l’une des dernières créations euphoriques de l’artiste, elle sera d’ailleurs l’une des icônes de l’exposition qui consacrera l’Italie et l’artiste : « Italy, the New Domestic Landscape » au MoMA à New York en 1972.
Ci-dessous, le lampadaire Golden Gate dessiné en 1970 par l’artiste Nanda Vigo, qui s’intéresse particulièrement à la lumière et à la dynamique, et qui construit l’espace au moyen d’éléments lumineux et de matériaux issus de la production industrielle comme le verre, le miroir et le néon.
Elle rencontre pendant sa carrière Lucio Fontana, qui lui aussi travaillera sur la lumière en réalisant notamment des structures en néon, intitulée « Luce Spaziale », pour la IXe Triennale de Milan en 1951, mais également pour le pavillon italien de l’exposition de Turin en 1961…
L’artiste grec Vassilakis Takis, disparu récemment, n’a eu de cesse, tout au long de sa prolifique carrière, de créer des œuvres magnétiques et sonores, puissantes, de véritables hymnes à l’énergie et à l’univers. Un jour, en attendant le train pour Londres, il fut fasciné par le ballet incessant des signaux et des flashs qui l’environnaient. Les sculptures monumentales de la Défense (ci-dessus) sont pensées comme une forêt de lumière que se créé artificiellement l’Homme pour se repérer et éviter la mort.
Ci-dessus, Signaux lumineux de Takis dans une collection privée.
De retour en France, à la fin des années 70, Philippe Starck dessine « Easy Light ». Il conçoit ainsi la disparition totale de la lampe en tant qu’objet, pour ne garder qu’un bâton de lumière, un simple faisceau pouvant être en mouvement permanent, selon les besoins de son propriétaire.
Ici, Philippe Starck et son Easy Light se promènent aux Bains Douches !
Ci-dessus, une paire de chevets lumineux dessinés par Ron Arad, de son époque One-off. L’œuvre un objet doublement fonctionnel, mais il est aussi une véritable sculpture, suivant une esthétique quasi-punk.
Il conçoit également en 1980 cette lampe à bras téléscopique télécomandée, nommée « Aerial Light ».
Changement de décor !
Ingo Maurer, disparu récemment, designer allemand formé aux arts graphiques, se spécialise dans l’éclairage et se consacre à la création d’ensembles lumineux. Ces derniers se caractérisent par un style poétique, enchanteur, avec toujours une pointe d’humour et d’espièglerie.
Ci-dessous, la suspension « Cuore Aperto » dessinée en 1996 spécialement pour la « Sagra », une fête annuelle italienne qu’Ingo Maurer affectionnait particulièrement.
Ici, ce prototype en aluminium de 2,80m de diamètre, a été réalisé pour le Hudson Hotel de New York en 2000.
Aujourd’hui, le sculpteur contemporain peut aussi voir dans l’objet fonctionnel une manière de mettre en « Lumière »son œuvre, à l’image de Richard Texier dont luminaires reprennent un bestiaire terrestre et aquatique issu des Arbres de Vie, qu’il a créé dans les années 2000.
Olafur Eliasson, artiste contemporain, explore quant à lui les différentes facettes de ce qu’il appelle « la matérialité », notamment la notion de lumière. Ses œuvres sont monumentales et sensorielles. Ci-dessus, the Weather Project, conçue en 2003 pour la Tate Modern à Londres. Cette puissance installation lumineuse emporte le visiteur dans un autre monde : une œuvre entre poésie et surréalisme.
James Turell, artiste américain contemporain, conçoit une série intitulée « skyspaces », qui se compose de chambres lumineuses autonomes, constituant une expérience immersive. Chaque chambre est dotée d’une ouverture au plafond qui s’ouvre vers le ciel, afin de faire vivre la lumière au spectateur en le faisant osciller entre ciel et terre.
Et la lumière fut !