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History of the bed

Le lit… Depuis toujours cet objet fut essentiel dans la vie quotidienne de l’Homme, on y passe un tiers de nos vies, on s’y réveille pour commencer notre journée et on s’y endort en réfléchissant à ce que cette dernière nous a apporté. Mais au-delà d’être un objet crucial pour notre santé physique et mentale, le lit est devenu un véritable lieu d’intimité et de passion, où parfois se mêlent trahison, adultère, et même crime sanglant. C’est également un point de départ vers le monde des rêves, ainsi qu’un lieu où l’on se sent en sécurité pour reprendre des forces.

De l’Égypte ancienne à nos jours, le lit est omniprésent dans l’Histoire. Au XIVe siècle avant JC, Toutankhamon se fait construire cinq lits pour l’accompagner dans l’antichambre de sa tombe pour un repos éternel. Dans les civilisations grecques et romaines, le lit devient une marque d’importance sociale et de richesse, on accorde beaucoup d’attention à son décor, il devient plus grand pour y accueillir plusieurs personnes, et plus haut pour pouvoir y passer plus de temps, en prolongeant ses repas et en y organisant de grands festins. Dans la culture et les représentations orientales, le lit est aussi la pièce centrale du harem.

Au Moyen-Âge, le lit devient utilisé par les classes sociales plus populaires. C’est à ce moment-là, au XVème siècle, que nous voyons apparaitre des « lits-clos », de curieuses boites construites pour assurer un sommeil plus tranquille et pour plus d’intimité au sein des familles nombreuses.

Avant la Révolution française, le lit devient un véritable objet somptueux plein d’extravagance, on ajoute des baldaquins et de grandes tapisseries, des chevets ornés, des vases aux quatre coins du lit et des bouquets de plumes. Le lit devient ainsi un lieu de réception et de longues audiences où les chefs d’État annoncent les décisions déterminantes pour le futur de la monarchie. Les chambres sont aussi un lieu d’intimité par excellence, pendant la Révolution il y est interdit toute perquisition entre le coucher et le lever du soleil.

Extrait du film de Sofia Coppola « Marie Antoinette » D.R.

L’importance donnée à ce meuble est aussi évidente dans la peinture de l’époque.

Jean Auguste Dominique Ingrès, « La maladie d’Antiochus », 1840. Musée Condé, Chantilly

Dans le célèbre tableau « La maladie d’Antiochus » de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), le lit monumental inspiré de l’architecture d’un temple grec est le centre de la composition et de l’action, le lit est un symbole de la maladie et la mort imminente d’Antiochus causées par son amour et sa passion coupable envers sa belle-mère Stratonice.

Le règne du lit comme objet de luxe et meuble d’apparat prend fin à l’ère du XIXème siècle et de l’industrialisation. Il cède sa place à la fonction et au confort. Nous commençons à distinguer différents types de lits selon nos envies et besoins : lit de repos journalier, méridienne, lits jumeaux permettant à un couple de dormir au frais en été, lits en métal pour éviter les nuisibles.

Méridienne, Époque Charles X, ca. 1825. Collection Musée des Arts Décoratifs, Paris
Lit bateau à couronne, XIXème. D.R.

Au même moment en Chine, on assiste même à la création de lits spéciaux pour les fumeurs d’opium !

Chambre de Napoléon au Grand Trianon à Versailles (Style Empire, XIXème). D.R.
D.R. RMN

Lit de camp de Desouches, breveté en 1812 pour les Officiers de l’Armée napoléonienne. Ce qui a séduit Napoléon est la praticité et la rapidité avec lesquelles le lit pouvait être monté offrant un confort aux Officiers de l’Empereur, Général des armées. Comment pouvait-il imaginer alors que c’est dans ce même lit qu’il passerait sa dernière nuit avant de mourir sur l’ile de Sainte-Hélène ?

Mais c’est au cours du XXème siècle que le lit va connaitre une véritable transformation de sa fonction et de son apparence.

Le lit « Soleil » de Jacques-Emile Ruhlmann dessiné dans les années 20, une création extravagante aux éléments néo-classiques mais réalisée avec l’esprit moderniste en utilisant un bois précieux : l’ébène de Macassar.

Le célèbre créateur du concept « Less is More », Mies van der Rohe dessine en 1929 une série de meubles iconiques pour le pavillon allemand de l’exposition internationale à Barcelone : un style minimaliste à structure en acier chromé, notamment le lit simple ou double dépouillé de tout ornement.

Le lit de Gerrit Reitvield du mouvement artistique « De Stijl » avec sa géométrie radicale et un emploi minimal de détails qui accorde aussi une grande importance au chromatisme !

Un autre aménagement emblématique du début de l’ère moderniste est la chambre de Maharaja d’Indore pour son palais de Manik Bagh. On observe ce lit spectaculaire dessiné par Louis Sognot et Charlotte Alix, un ensemble très épuré en verre et en métal, des matériaux très innovants pour l’époque.

Lors du Salon D’automne en 1929, Le Corbusier, Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand présentent un Équipement intérieur de l’habitation, un appartement moderne au mobilier minimaliste et fonctionnel en métal tubulaire et en verre, comprenant une chambre s’ouvrant sur la salle de bain où la tête de lit sert également de cloison. Encore une idée audacieuse de Charlotte Perriand responsable de l’architecture d’intérieur du projet, qui casse l’intimité sacrée et renfermée d’une chambre en créant un espace ouvert et fonctionnel.

Par ailleurs, en fonction du contexte et du lieu, l’apparence et la fonction du lit ont évolué.

En 1933, le sanatorium Paimio fut construit par Alvaar Alto pour le traitement de la tuberculose avant que le vaccin ne soit inventé. A l’époque, le meilleur remède contre la maladie était l’air frais et le soleil. Des espaces intérieurs ont donc été conçus dans cette optique et pour répondre à ce besoin.

Chaque meuble fut conçu en tenant compte des besoins particuliers des malades. Des lits confortables et hygiéniques qui ne ressemblaient pas au mobilier habituel d’hôpital, froid, austère et stérile.

Courtesy Galerie Downtown – François Laffanour

Faisant écho au développement technologique et salutaire des établissements médicaux, Jean Prouvé et Jules Leleu conçoivent en 1936 un ensemble de mobilier pour le sanatorium Martel de Janville au Plateau d’Assy en Haute-Savoie, commandé par l’armée de l’air. Conçu entièrement en acier plié, soudé et laqué rouge en harmonie avec les couleurs de l’architecture extérieure, ces meubles sont à la fois modernes et adaptés aux besoins des patients pour une guérison tranquille. Le lit de Martel de Janville intègre un caisson latéral.

Pendant le temps du rétablissement, le lit peut aussi devenir un lieu de travail, Marcel Proust ayant entièrement écrit « A la recherche du temps perdu » au lit, ou bien encore ci-dessus, Henri Matisse dessinant sur les murs de sa chambre avec des morceaux de fusain collés à une canne.

Dans l’extrait du film « It’s a gift » (1923) sur la vedette du cinéma muet Snub Pollard qui joue ici un grand inventeur excentrique, nous observons ce curieux lit plein de mécanismes, notamment le réveil à plume, une invention poétique pour un réveil en douceur !

Le lit devient également le meuble principal et central dans les grands chantiers universitaires.

Courtesy Galerie Downtown – François Laffanour

Le lit  « Cité », dessiné par Jean Prouvé pour la première fois en 1933 pour la cité universitaire de Nancy, puis commercialisé dans les années 1950 par les Ateliers Jean Prouvé. A la fois moderne, fonctionnel et ergonomique, ce lit répondait aussi au besoin de trouver les solutions économiques pour l’aménagement intérieur.

Courtesy Galerie Downtown – François Laffanour

En 1954, Jean Prouvé, Charlotte Perriand et Serge Mouille remportent le concours pour l’agencement des chambres d’étudiant à la cité universitaire Jean-Zay d’Antony où Prouvé intègre le modèle du lit « S.C.A.L. », d’abord conçu pour les ingénieurs de la Société Centrale des Alliages Légers en 1938. En taille simple ou double, avec ou sans tablette, ce lit connait un franc succès et continuera d’être commercialisé par la galerie Steph Simon après la guerre.

Courtesy Galerie Downtown – François Laffanour

Dans les commandes universitaires, il ne faut surtout pas oublier l’aménagement imaginé par Charlotte Perriand pour la Maison du Brésil à la Cité Universitaire de Paris, conçu en collaboration avec Le Corbusier en 1959. En mettant en valeur la chaleur et la simplicité du bois comme matière, Charlotte Perriand dessine un lit minimaliste et neutre pour compléter l’intérieur simple mais efficace de la chambre d’étudiant.

Mais comme beaucoup d’objets essentiels à la vie quotidienne, l’apparence du lit change à travers des cultures et des climats différents.

Inspirée par la culture japonaise, la position du lit par rapport au sol et l’utilisation de bambou, Charlotte Perriand crée en 1941 ces lits en lames de bambou, un véritable mélange de la tradition japonaise et du dessin moderne.

Elle s’inspire également de l’utilisation des hamacs pour la sieste dans la culture nord-africaine qu’elle intègre dans le coin-repos de la maison démontable du Sahara, conçue par Jean Prouvé et aménagée par Charlotte Perriand pour le Salon des Arts Ménagers en 1958.

Au cours des années 1950 et 1960, le lit retrouve des éléments décoratifs et un dessin sophistiqué, en gardant néanmoins sa fonctionnalité et en priorisant le confort, comme on le voit dans les intérieurs de Jean Royère (1902-1981).

Au cours des années 1960 et 1970, les designers commencent à remettre en question les principes du modernisme en voulant renverser le rôle et la connotation de l’objet. En 1969, Ettore Sottsass demande au Groupe Archizoom un projet pour que ce dernier puisse se présenter dans la revue architecturale Domus.

Archizoom réalise un projet de 4 chambres appelé « Dream Bedrooms », tel un manifeste de l’Architecture Radicale. .

Dans la lignée de la nouvelle génération de designers apparue dans les années 1970 en Italie, Joe Colombo présente en 1969 dans son appartement ouvert le lit « Cabriolet Bed » qui s’intègre à la pièce en s’inspirant de la multifonctionnalité d’une automobile et du célèbre cabriolet rouge italien.

En 1970, Ettore Sottsass dessine pour Poltronova sa série des meubles « Mobili Grigi » en fibre de verre, où le lit devient le centre de l’installation sous la forme d’un piédestal et où la tête de lit est remplacée par des luminaires à néons !

Ici, le lit permet de véhiculer un message politique, initié par John Lennon et sa femme Yoko Ono en se faisant photographier dans leur lit à Montréal afin de protester contre la guerre du Vietnam.

En 1972, Marc Held dessine pour la société Prisunic un ensemble d’éléments modulables composant aussi bien un lit double qu’un salon lorsque les éléments se séparent, une solution intelligente pour des petits logements !

Le lit a pu être utilisé comme objet phare de la couverture du magazine « Rolling Stones » en 1977 avec le groupe du rock iconique Fleetwood Mac. C’est en s’allongeant sur un lit ensemble que le groupe fait passer un message de liberté, de bien-être et de détente, que l’on lit également sur leurs visages.

Courtesy Galerie Downtown – François Laffanour

En 1981, on voit apparaitre la création iconique du mouvement « Memphis », notamment avec le lit « Ring » de Masanori Umeda. Réalisé seulement en 5 exemplaires, ce lit joue sur le décalage des fonctions d’un objet et sur l’usage des matériaux inattendus comme le tatami, concept très caractéristique de ce mouvement artistique.

Le lit peut aussi devenir une œuvre d’art, comme dans la chambre spectaculaire du Badrutt Palace à Saint Moritz de Gunter Sachs avec les tables d’Allen Jones et le lit par Roy Lichtenstein.

Ou ce meuble fantastique qui servait de lit à Salador Dali, le peintre le plus connu du mouvement surréaliste, qui se trouve aujourd’hui dans son Théatre-Musée à Figueras.

Lors de l’exposition « Italy : the New Domestic Landscape », Mario Bellini présente son installation mobile « Kar-a-Sutra », un « monospace érotique » avec lequel on peut se déplacer, où l’on vit, où l’on dort, et où l’on fait l’amour.

Le lit de forme ronde devient une véritable prolongation de l’architecture et du décor organique et sphérique du Palais Bulle d’Antti Lovag, conçu en 1975.

Quant à la maison et au studio de Donald Judd à New York, le lit – placé au centre de la pièce entouré des œuvres de Flavin et d’Oldenburg – est réduit à son strict nécessaire et à sa fonction première : être confortable pour se reposer.

Courtesy Galerie Downtown – François Laffanour

Le duo artistique et emblématique du design des années 80, Garouste et Bonetti prennent le contrepied du fonctionnalisme, du minimalisme et de l’innovation technologique en créant des meubles extravagants dans un esprit baroque, comme ce surprenant lit « Beaux Rêves », édité en 8 exemplaires.

Enfin, le dernier mais non moins important, le lit « Laputa » de Shiro Kuramata, sa dernière œuvre réalisée en 1991, tirée des écrits de Jonathan Swift et inspirée de l’ile flottante éponyme.

Cet objet oscille entre humour et poésie, entre le réel et l’imaginaire, nous fascine et nous donne envie de… rêver !

 

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