La Galerie DOWNTOWN François Laffanour, dans son espace dĂ©diĂ© au design moderne et contemporain, 33 rue de Seine, prĂ©sente une collection de vases inĂ©dite : les « Kachinas », une suite de 20 piĂšces dessinĂ©es par Ettore Sottsass en 2004 inspirĂ©es des figurines de la culture des Indiens Hopis dâAmĂ©rique. Avant sa disparition en 2007, Ettore Sottsass a donnĂ© son accord au Cirva (Centre International de Recherche sur le Verre et les Arts plastiques) Ă Marseille et Ă lâatelier Van Tetterode Ă Amsterdam, pour la production de chaque vase. Le travail de rĂ©alisation de 5 exemplaires de chaque modĂšle a Ă©tĂ© terminĂ© en 2010.
« Faire du design, ce nâest pas donner forme Ă un produit plus ou moins stupide pour une industrie plus ou moins luxueuse. Pour moi le design est une façon de dĂ©battre de la vie ».
PrononcĂ©e par Ettore Sottsass en 1981, au moment de la fondation du groupe Memphis dont il fut lâinspirateur, cette citation pourrait qualifier la collection Kachinas, dâoeuvres pleines dâesprit, ces piĂšces Ă©tant en effet symptomatiques de cette force spirituelle si typique de son travail, pionnier du renouvellement du design italien dâaprĂšs-guerre, alors que le rationalisme accusait des formes strictes, raisonnĂ©es et systĂ©miques.
AprĂšs une formation Ă lâEcole Polytechnique de Turin, Ettore Sottsass (1917 â Innsbruck, 2007- Milan), architecte â designer italien, dĂ©bute sa carriĂšre en tant que collaborateur de son pĂšre, Ettore Sottsass Sr., figure majeure de lâarchitecture italienne. Ayant crĂ©Ă© sa propre agence Ă Milan en 1947, il part Ă New York oĂč il travaille au sein du cabinet George Nelson, avant de revenir en Italie oĂč, entamant une collaboration Ă©troite qui durera prĂšs de 30 ans, il est embauchĂ© en 1958 comme consultant chez Olivetti. En tant que tel, il sera lâun des crĂ©ateurs du premier ordinateur italien ELEA 9003, en 1959. En 1969, il conçoit sa machine Ă Ă©crire rouge Valentine, aujourdâhui considĂ©rĂ©e comme lâune des crĂ©ations les plus significatives du design du XXĂš siĂšcle. Ayant rejoint le Studio Alchimia, il fonde par la suite en 1981 le groupe Memphis avant de se concentrer sur sa propre agence Sottsass Associati. Il travaillera entre autres pour Alessi, Esprit et participera au projet de crĂ©ation de lâaĂ©roport de Milan Malpensa. Ce laurĂ©at de nombreux prix (le prix italien Compas dâOr), prĂ©sent dans les collections des grands musĂ©es (MOMA de New York, Centre Pompidou, Paris), sâest attachĂ© tout au long de sa carriĂšre Ă proposer une oeuvre entre art, architecture et design.
Ce laurĂ©at de nombreux prix (le prix italien Compas dâOr), prĂ©sent dans les collections des grands musĂ©es (MOMA de New York, Centre Pompidou, Paris), sâest attachĂ© tout au long de sa carriĂšre Ă proposer une oeuvre entre art, architecture et design.
Instigateur dâun art radical, oĂč mobilier, verre, cĂ©ramique, design et bijoux embrassent toutes les possibilitĂ©s offertes par le nouveau langage lexical du modernisme, quâil a mis au point, le crĂ©ateur a dessinĂ© ici des piĂšces oĂč exubĂ©rance, pluralisme, historicisme et humour sont confondus, et oĂč lâobjet ne doit plus sâapprĂ©hender de façon technique et fonctionnelle, mais prĂ©sente un vocabulaire plus affectif, symbolique et poĂ©tique.
Hautement dĂ©coratifs et Ă©clectiques, ces vases Ă lâĂ©lĂ©gante opulence, dĂ©ploient une symphonie de formes et de couleurs, libĂ©rant le designer de lâenfermement quâune unitĂ© stĂ©rilisatrice pourrait lui confĂ©rer. Pour cette exposition, lâartiste fait en effet Ă©clater variĂ©tĂ© des silhouettes, galbes et teintes, Ă lâimage de lâart radical dont son oeuvre est empreinte.
Parfois mutins, parfois narratifs, tantĂŽt masquĂ©s, tantĂŽt chapeautĂ©s, quelquefois hirsute, dâautres fois nu-tĂȘte, ces petits esprits grimĂ©s, nous regardent et nous observent avec magnĂ©tisme et majestĂ©, la digne aristocratie de certaines piĂšces Ă©tant tempĂ©rĂ©e par le caractĂšre enfantin et espiĂšgle de certains vases, oĂč enthousiasme et spontanĂ©itĂ© se cĂŽtoient, un Ă©lĂ©ment dĂ©coratif sâesquivant dâune forme robuste et ferme, un panache colorĂ© se dressant sur un rĂ©cipient sombre et gris. La riche versatilitĂ© de son travail se retrouve dans la volontĂ© de transcendance que Sottsass veut confĂ©rer Ă son oeuvre : un universalisme culturel, une hybridation ethnique, adoptant une posture Ă la fois expĂ©rimentale et anthropologique. Ettore Sottsass propose un nouveau langage pour ces vases Ă agencement anthropomorphique, Ă©pousant des formes plastiques Ă lâĂ©nergique Ă©loquence, dont le symbolisme et le nom rappellent les Kachinas. En effet, fidĂšle Ă son habitude dâĂ©tablir une constance entre passĂ© lointain, culture populaire et contemporanĂ©itĂ©, de maniĂšre Ă rĂ©vĂ©ler le potentiel culturel de son design, ces piĂšces sont des interprĂ©tations des poupĂ©es Kachinas, les esprits de la mythologie des indiens Hopis et Zunis du Nouveau- Mexique et de lâArizona, au Sud Ouest des Ătats-Unis, dont Sottsass a peut-ĂȘtre pu sâimprĂ©gner lors de ses nombreux voyages aux Etats-Unis.
Dans cette culture amĂ©rindienne, les Kachinas sont des esprits, esprits du feu, du serpent, de la pluie, ou encore esprits farceurs, espiĂšgles, bienfaisants ou malfaisants. Une sorte dâinventaire du monde visible et abstrait. A lâoccasion de fĂȘtes rituelles, ces esprits sâincarnent dans des danseurs masquĂ©s et costumĂ©s. Des poupĂ©es de bois peintes de vives couleurs, Ă©galement nommĂ©es Kachinas et reprĂ©sentant ces danseurs, sont offertes aux enfants, Ă lâissue des fĂȘtes, pour quâils se familiarisent avec le monde des esprits.
Ces vases, par leur caractĂšre inĂ©dits et le faible nombre auxquels elles ont Ă©tĂ© conçues, sont rĂ©vĂ©lateurs de la pensĂ©e dâEttore Sottsass en un art Ă lâopposĂ© de la production de masse, de lâhyper-consumĂ©risme dont lâartiste voulait se dĂ©partir. Conçus en verre soufflĂ©, les diffĂ©rents Ă©lĂ©ments sont collĂ©s Ă chaud, ces piĂšces rĂ©vĂ©lant lâassociation de la matiĂšre plus quâune dĂ©composition en un seul Ă©lĂ©ment. Le jeu de transparence et dâopacitĂ© prĂ©sentĂ©es par chacune de ces piĂšces faites de formes pleines et dâĂ©lĂ©ments effilĂ©s se rĂ©pond dâune piĂšce Ă une autre crĂ©ant ainsi une dynamique narrative. Loin des formes architecturĂ©es et strictement gĂ©omĂ©triques par lesquels Ettore Sottsass construisit ses cĂ©lĂšbres totems, oĂč cercles et carrĂ©s se superposent verticalement, les lignes douces et courbes transmettent un aspect sensoriel et spirituel, plus quâintellectuel, rĂ©vĂ©lant chez Sottsass toute lâĂ©volution de son travail, et de son alphabet.
C.R. Victoria Mirzayantz