Jean Prouvé, Pierre Jeanneret, Charlotte Perriand
La SCAL, Issoire.
La France connait des temps difficiles, la guerre éclate en 1939. L’industrie doit se réorganiser pour produire des armes et en particulier des avions. Avec le soutien du gouvernement, il est décidé que la Société du Duralumin : la SCAL (Société centrale des alliages légers) engage un projet extrêmement novateur d’usine de laminage des tôles.
L’implantation de cette grande réalisation industrielle à Issoire présente de nombreux avantages : la situation géographique est stratégique, bordée par l’Allier les possibilités en énergie sont favorables et dans cette région agricole la main d’œuvre est abondante.
Les frères Perret architectes, sont alors désignés pour bâtir cette colossale unité de transformation, dont la structure est prévue avec une ossature en béton armé.
A la fin de l’année 1939, le projet validé, il s’avère nécessaire de produire dans l’urgence des équipements pour accueillir les ingénieurs et les dessinateurs chargés du programme de construction et de développement de l’usine. Pour répondre au besoin, une phase complémentaire est engagée, fruit d’une rencontre entre Jean Matter nommé administrateur-délégué de la SCAL en novembre 1939, Marcel Lamourdedieu ingénieur et Georges Blanchon, journaliste introduit dans le domaine des affaires et des arts. Leur réflexion commune s’accorde sur le choix d’une équipe dédiée pour résoudre dans un temps court, l’enjeu constructif. Déjà liés par la pensée architecturale et l’amitié, se trouvent réunis Jean Prouvé constructeur dont les ateliers de production sont à Nancy, Pierre Jeanneret architecte cousin et bras droit de Le Corbusier et Charlotte Perriand spécialisée dans l’équipement, ancienne collaboratrice de l’atelier de la rue de Sèvres.
Leur conviction repose sur le fait que la solution architecturale relève de nouveaux procédés économiques et rapides. La réalisation de la commande de la SCAL pour les bâtiments d’accueil du personnel se concrétise rapidement, fondée sur la théorie d’une maison usinée (brevet) de Jean Prouvé, adaptée pour l’usage par Pierre Jeanneret. Charlotte Perriand intervient pour le dessin de la plupart des meubles : tables, potences, sièges…
Sur la base des recherches de préfabrication de Jean Prouvé, deux solutions techniques sont retenues pour construire les bâtiments.
Le premier système repose sur une ossature métallique extérieure, déjà imaginée pour un concours de baraques démontables pour le ministère de l’air (1938) et expérimentée dans un premier temps au camp de vacances d’Onville (1939) avec les architectes Jacques et Michel André. La même année une commande de la Vème et VIème armée confirme la justesse de la proposition technique : l’armature extérieure constituée de piliers en tôle d’acier pliée effilés est complétée par des profilés en acier formant la rigidité de l’ensemble, des tôles couvrent le bâtiment et des panneaux de bardage en bois assurent la finition des parois. Un module suivant ce principe est expédié à Issoire, dessiné par Jeanneret pour servir de poste de garde, il sera finalement utilisé comme cabane pour les jardins ouvriers.
Le second système développe une structure plus complexe à portique axial placé à l’intérieur du bâtiment afin de supporter les poutres de faitage. Le modèle déposé en février 1939, avait été également envisagé dès 1938. Sur le chantier de la SCAL il est adapté et repensé par Pierre Jeanneret dans ses volumes et ses combinaisons, pour s’adapter aux besoins. Le principe repose sur une structure métallique porteuse en « V inversé ». Le bâtiment à usage de bureaux et d’atelier de dessin, se déploie sur deux niveaux en mars 1940, le club pour les ingénieurs est monté quelques mois plus tard. Les trois pavillons pour les chambres, ainsi que l’infirmerie et le dispensaire proposent une variation structurelle avec des portiques en « U inversé ».
La défaite de Juin 1940, met un coup d’arrêt au chantier. Charlotte Perriand appelée au Japon en mission, part de Marseille le 15 juin 1940 et ne revient qu’en 1946. Pierre Jeanneret après un séjour dans les Pyrénées, retrouve Georges Blanchon qui crée le BCC (Bureau Central de Construction) à Grenoble, pour poursuivre le chantier d’Issoire. Nancy se trouvant en zone occupée, Jean Prouvé éprouve des difficultés pour répondre aux engagements. L’acier pour les structures manque, il compensera pour les commandes suivantes avec des parois, une structure porteuse et des portiques en bois (1942). Les contraintes de rationnement et les difficultés n’altèrent pas leur enthousiasme et leur foi dans le projet, ils inventent les solutions.
Le projet d’Issoire permet de confirmer la justesse de l’industrialisation des éléments d’architecture et d’établir de façon innovante le principe de préfabrication. L’équipe Jeanneret Prouvé a fait la démonstration de l’importance d’une collaboration étroite entre l’architecte et le constructeur, pour développer des projets à la fois pratiques, esthétiques et économiques. Un pressentiment génial, à la veille d’une période où le besoin en urgence de logements, s’est fait cruellement sentir. Ce geste architectural avant-gardiste sur le terrain de la SCAL à Issoire, suffira cependant, à retenir l’attention des autorités en charge de la reconstruction au lendemain de la guerre.
Cette aventure humaine et technique, demeure gravée comme une étape fondatrice dans l’histoire de l’architecture moderne.
Anne Bony, mars 2015.