Quel plaisir de passer à table en famille, avec des amis, avec celle ou celui que l’on aime afin d’entamer de longues discussions, de rigoler voir de finir par s’embrasser ! Mais quelle table choisir alors pour sa maison !
Un proverbe oriental dit : « Le nombre d’hôtes à table est la bénédiction de la maison. »
La table – simple meuble, objet de Design, lieu de convivialité – reste toujours, par sa forme, un meuble constitué d’un simple plateau reposant sur un ou plusieurs pieds !
Mais les tables, ce sont aussi des tables basses : visibles ou invisibles, tout comme des tables de jeux, colorées !
Comme le rappelle la définition choisie par Joseph Kosuth dans son œuvre conceptuelle One and three table (1965) : « A smooth board usually supported on legs ! » La table est donc aussi un objet qui devient un sujet pour les artistes contemporain.
1. La table a une longue histoire !
A la Préhistoire, elle n’existe pas encore vraiment ! Ce n’est pas le premier élément que les hommes recherchent, du moins, pas tout de suite ! Manger, cuire, se chauffer, chasser, se défendre et cultiver la terre sont primordiales !
Sous l’Antiquité Grecque et Romaine, les repas autour de l’Empereur et du sénateur deviennent de véritables banquets. C’est un moment de partage d’idées mais parfois aussi de conspiration. Étonnement, la position à table est presque allongée, alors que depuis bien longtemps on mange assis.
A l’époque des Gaules, Astérix et ses confrères font de grands festins sur une table circulaire, autour du feu. Mais pourtant tout le village n’est pas là, les femmes sont absentes au banquet !
Au Moyen-Âge, le prince, le Seigneur et le Roi rassemblent autour d’eux la Cour qui représente des hommes de confiance. Etre à table, se mettre à table signifie partager un festin en présence de musiciens, de troubadours, de conteurs sur une longue table rectangulaire en bois. Afin de recevoir l’ensemble des invités, les tables sont généralement longues, rectangulaires et en bois plus ou moins sculpté, selon les régions.
La tradition du repas monastique assis autour de grandes tables existe depuis que le Christ a dîné avec ses apôtres, une dernière fois avant la Passion…
C’est un moment de partage en communauté, d’écoute de lectures de textes saints donc des tables de grandes tailles ont été pensées dès l’origine. L’idée de ces longues tables sera en partie reprise par les Shakers.
Sous l’Ancien Régime, les tables – de grandes tailles et souvent recouvertes de nappes somptueuses – servent autant aux Conseils des Ministres, entourant le Roi, qu’aux grands dîners de cours – diplomatiques – afin de rapprocher les Empires. Les tables, rectangulaires pour la plupart, sont dressées dans un cadre relevant du décorum unique, majestueux.
Au début du XIXème, plusieurs émigrés d’Europe s’installent sur la Côte Est des Etats-Unis pour développer une communauté avant tout religieuse : les Shakers. Développant surtout l’autonomie et la vie en autarcie, ils créent aussi tout un mobilier très minimal, sans ornementations, dont de grandes tables, faites pour que les repas séparés, entre hommes ou femmes, soient aussi et surtout un moment de spiritualité. Les tables en bois sont très longues et leur minimalisme introduit déjà les sources du design du XXème siècle.
Au tournant du siècle, vers 1900, l’architecture Art Nouveau (en parallèle des courants Jugendstill, Liberty, Wiener Werkstâtte…) influence le mobilier, sous diverses formes.
Que ce soit par des formes proches du milieu naturel – pour l’Art Nouveau – ou encore des formes simplifiées, très minimales – pour le Jugendstill tout comme la Wiener Werkstätte – le changement de ton montre un changement des sociétés en marche. Ce style nouveau, entre autres celui développé par Hector Guimard en France, marque déjà les avant-gardes du XXème siècle !
Toujours au début du XXème siècle et dans les milieux populaires – ici chez nos compatriotes Bretons – de longues tables sont mises en place lors des mariages : les familles sont grandes à l’époque et ces immenses tables rapprochent les concitoyens !
Dans le monde de l’art, la table a toujours été employée par les artistes, dans des mises en scène spécifiques, en lien avec les idées de l’époque. Dans cet autoportrait des années 20 de Florence Henri, la table sert à déconstruire le plan de l’image traditionnelle pour aller vers cette ‘Nouvelle Objectivité’ des Avant-Gardes ! La table n’apparaît donc presque pas et la table perd son sens premier de mobilier quotidien puisqu’elle créé un axe de vision nouveau !
Dans les années 20, de grands décorateurs Français comme Süe & Mare, Armand Albert Rateau, Jacques-Émile Ruhlmann ou encore Pierre Legrain … vont créer des tables surdimensionnées, dans de très beaux bois exotiques, aux formes propres à chacun des créateurs, qui feront partie de la Société des Artistes Décorateurs.
Cette exceptionnelle table en marbre, réalisée vers 1929 par l’architecte Michel Roux-Spitz, pour un intérieur parisien, montre la teneur de la collection et l’importance qu’a voulu en donner son propriétaire !
A la même époque, se créée en France un autre mouvement moderne, plus tourné vers les avant-gardes européennes : L’Union des Artistes Modernes (UAM). Des architectes et des designers comme Le Corbusier, Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand conçoivent une table rectangulaire, à plateau en verre, montée sur une structure à quatre pieds métalliques. On est tout à fait à l’opposé de ce que crée la SAD ! Néannmoins cette table va parfaitement dans les espaces d’appartements ou de maisons à géométrie parfaite et aux angles droits que réalise Le Corbusier à cette époque. Un matériau nouveau, le plateau de verre, montre les idées innovantes de Le Corbusier mais aussi celles, trèsmodernistes, de l’UAM.
Dans les années 30, le peintre mexicain Diego Rivera représente le repas à table comme une scène de partage, de communion d’idées, de réunion des différentes classes pauvres de la société mexicaine. Cette réunion a donc un tout autre sens que le simple repas de famille ! Cette table familiale reprend celle très minimale dessinée à l’époque par l’architecte Luis Barragan qui une forme et un concept très simple, sans décoration, reflétant aussi son architecture.
… Puis vient la Guerre ! D’autres tables apparaissent mais la recherche d’esthétique n’est plus à l’ordre du jour. Pierre Jeanneret conçoit en 1943 pour Jean Prouvé et sa famille (7 personnes), une longue table en sapin avec des côtés droits et d’autres courbes : c’est l’époque des tables dites « en forme » ! Cette table exceptionnelle mais aussi très inhabituelle pour l’époque illustre une volonté nouvelle d’innovations qui se développera pour l’essentiel après la guerre !
Puis viennent les années 50-60, cette fameuse période d’après-guerre apportera beaucoup de choses à dire et découvrir !
Jean Royère, tout d’abord, et sa table basse « Tour Eiffel » au piètement métallique s’inspire du quadrillage architectural et métallique de la Tour éponyme ! Ce motif sera réalisé et adapté ensuite sous différentes formes !
Dans les années 50, les tables apparaissent sous différentes formes, sous différents matériaux…
La céramique va s’imposer à cette époque et va, entre autres, être employée pour le mobilier. Georges Jouve réalise en 1946, une grande table de repas, en collaboration avec un autre grand céramiste : Pol Chambost pour son appartement à Paris…
La table n’est donc plus seulement en bois ou en métal !
De son côté, Jean Prouvé conçoit une table minimale dont les pieds, en tôle d’acier pliée, ont une forme trapézoïdale et supportent un plateau en frêne ou en en bois recouvert de formica noir. Conçue pour des bureaux, une salle de bibliothèque ou encore la cantine de l’Université d’Antony, cette table aura peu d’effets dans les années 50 mais révolutionnera l’espace intérieur à partir des années 80, devenant une pièce iconique des années 50 pour un espace contemporain ! Comme quoi, le goût rattrape l’histoire … !
Rentrée du Japon en 1946, Charlotte Perriand est fortement influencée par les formes nouvelles qu’elle a découvertes dans la culture japonaise. Elle créé donc des meubles aux formes nouvelles, dont sa célèbre table « forme libre » – le nom dit tout – qui révolutionne en partie l’espace intérieur de l’époque… En bois clair ou teintée noir, sa forme majestueuse apporte déjà une révolution dans l’Art Ménager de l’époque ! Elle n’a pas vieilli depuis 65 ans !
Puis se développe aussi, à la même époque, le Design brésilien avec l’utilisation de somptueux bois locaux, comme le Jacaranda.
Avec des créateurs comme Jose Zanine Caldas, qui développent un certain style lié à un regard spécifique sur ce que le nature peut apporter aux hommes, des formes nouvelles apparaissent… Elles se développeront jusque dans l’architecture.
Des formes arrondies, plus douces, apparaissent dans les années 60…
La table de Saarinen éditée par Knoll International va devenir représentative de cette époque, en table haute et table basse.
Ettore Sottsass créé en 1963 avec son éditeur Poltronova une table en marbre de forme ronde : « Loto » à laquelle il donne une forme simple mais dans une matière noble et ancestrale. Ce minimalisme introduit le design radical en Italie à cette époque.
Les années 70 sont marquées par le changement débuté dès la fin des années 60, dans un élan de contestation : tout se transforme, tout change !
En pleine révolution sociale, intellectuelle, sexuelle et artistique, des designers comme Gaetano Pesce dessinent d’immenses tables inhabituelles qui revisitent l’histoire, comme cette table déconstruite de l’Italie Antique !
Le Groupe italien Archizoom Associati créé une ligne de meubles du quotidien avec géométrie, la table parfaite. Cette géométrie qui va pour le mobilier, va aussi pour l’architecture et est donc empruntée pour redessiner le monde… Dans cette ambiance de remise en question, la table perd tout décor, tout en en employant un nouveau !
Cette très belle table en marbre dessinée en 1975 pour une grande maison sur la Côte d’Azur, par l’architecte brésilien exilé en France Oscar Niemeyer, nous démontre que pour les architectes, le mobilier a toujours été dans la suite de l’architecture, et rarement le contraire… En effet, cette table a la forme spécifique des arrondis et des courbes qu’Oscar Niemeyer emploie toute sa vie dans son architecture !
Dans les années 80, la recherche de formes nouvelles pour les tables se poursuit avec des créations très spécifiques comme la table ‘Sansone’ dessinée en 1980 par Gaetano Pesce. De forme irrégulière, elle devient un des symboles de l’anti-industrialisation que met en avant Pesce dans son Design ! Contre la production de masse, il dessine ce meuble avant-gardiste qui est alors comme un manifeste !
La table M1, dessinée au début des années 80 par Stefan Wewerka, montre la recherche que ce designer mène sur d’autres formes nouvelles. Celle-ci présente un mélange entre principes de fonctionnalité du meuble et mélange de formes inattendues sélectionnées par le designer.
Parlons aussi de Philippe Starck qui créé en 1982 cette table de repas ‘Dole Melipone’, qui utilise une composition très spécifique du piètement.
C’est en quelque sorte une véritable sculpture ! C’est le nouveau Design des années 80 ici représenté !
Ron Arad, incontournable designer international de ces 40 dernières années, créé en 2006 un événement exceptionnel autour de la table !
Pour l’ouverture du premier Design Miami/, Ron Arad dessine un ensemble de 65 tables en acier poli, toutes de formes uniques qui, exposées du sol au mur, font tout doucement disparaître la notion d’espace du lieu. La table objet/mobilier prend un tout autre sens, en devenant aussi sculpture !
Choi Byung Hoon, chef de fil du Design coréen contemporain de ces 40 dernières années, dessine ses meubles en adaptant des traditions ancestrales de l’emploi de matériaux (bois et pierre) et adapte à partir de cela des formes nouvelles, en particulier pour les tables basses ou de repas !
Mais la table peut aussi devenir une véritable œuvre d’art.
La «Table au requin », dessinée en 2008 par François-Xavier Lalanne, est une de ses dernières œuvres avant sa mort ! Tout au long de son œuvre, cet artiste mais aussi designer a toujours incorporé l’univers animal dans ses créations. Pour cette table, l’aileron de requin nous surprend dans un contexte où il n’est pas tout à fait attendu !
Enfin,
Que la table serve de lieu de partage entre amis…
… que la table soit aussi le lieu du conflit des idées,
… que l’on soit seul à table pour méditer..
.. Ou en famille pour se reposer…
… Alors, choisissons la bonne et dépêchons-nous de nous mettre à table !